Émilie Gleason est née au Mexique en 1992. Elle a étudié aux Arts Déco de Strasbourg, où elle a donné naissance à Ted, drôle de coco, album décrivant le quotidien de son frère atteint du syndrome d’Asperger. Salué par la critique, ce livre lui a valu le Prix Révélation au festival d’Angoulême 2019. Robbie est la deuxième bande dessinée qu’elle publie en 2023, après Junk Food paru en début d’année chez Casterman. Émilie vit aujourd’hui à Bruxelles.
Émilie, Olivier, comment est né ce fabuleux projet ?
Émilie : Si je me souviens bien, c’est le pif de Sonia qui a eu l’excellente idée de nous mettre en binôme Olivier et moi. J’ai signé le contrat après avoir lu le pitch, car j’allais faire face à beaucoup de challenge et de terres inconnues : de la fiction, de l’horreur, un scénario en construction dans lequel il m’était possible d’y ajouter mes petites graines de folie, bref ! J’aime le travail en équipe et les expériences nouvelles, qui viennent nourrir et mûrir mon travail en constante évolution. J’ai beaucoup appris avec Robbie (et en plus, je me suis éclatée tout le long).
Olivier : Ça faisait plusieurs années que j’avais cette histoire de jeune zombie en pleine crise existentielle dans mes tiroirs. Je savais qu’elle devait être drôle, maligne, fantaisiste, à la fois profonde et légère, aussi morbide que joyeuse, touchante aussi. Mais je ne savais pas vraiment quelle direction narrative lui donner, ni ce que je cherchais profondément à raconter à travers elle. Alors je l’ai laissée dormir quelque temps, cette histoire, sans trop oser la réveiller. Et puis j’ai rencontré Sonia Déchamps, et j’ai aimé son idée de faire collaborer gens qui écrivent et gens qui dessinent pour nourrir la collection Virages graphiques. J’ai rouvert le tiroir, je me suis replongé dans ce projet, j’ai commencé à sentir ce qu’il avait dans le ventre, je l’ai développé, et j’ai surtout essayé de m’amuser avec, d’en faire un terrain de jeu tant pour moi que pour celui ou celle qui s’en emparerait pour lui donner corps. Sonia a aimé mon synopsis, qui a fini par atterrir, grâce à elle, dans les mains d’Émilie Gleason et… le reste fait partie de l’histoire.
Pouvez-vous nous décrire vos deux personnages principaux ?
Olivier : Sans faire le psy de comptoir, je pense qu’il y a un peu de moi dans les personnages de Robbie et Carrie. De celui que j’étais à leur âge, et de celui que j’aurais aimé être. Robbie est un jeune garçon timide et complexé par son apparence, qui ne se sent pas à sa place dans le monde des vivants, qui cherche à comprendre comment s’y adapter. Il a une détermination presque surnaturelle à trouver du sens dans cette aventure, quelles que soient les péripéties absurdes qu’on met sur son chemin. Mais le fait qu’il soit adolescent ET zombie le rend vulnérable, fragile, et fait qu’il est assailli de questions et de doutes (il y a peut-être une discrète métaphore ici), qui le poussent parfois au bord de la crise de nerfs… Carrie est son sidekick dans cette quête pour savoir pourquoi il s’est réveillé une nuit au fond d’une tombe, comment il est mort, et si sa mort, comme la vie, peut avoir une forme de sens. Elle est vive, indépendante, artiste, se fiche du regard des autres. Hostile de prime abord, elle est capable d’une punchline de remettre n’importe qui à sa place, mais est aussi d’une générosité sans fond. Si elle a bien cette facette ado fan de cimetières et amie des corbeaux, je ne voulais pas en faire un cliché de goth girl. Elle n’idéalise en rien la mort, et elle est sans doute le personnage de l’histoire qui a le plus de vie en elle.
Émilie, tu travailles souvent en couleurs, pourquoi ce choix du noir et blanc ?
La nostalgie ! L’envie de revenir à mes années d’étudiante où mon style incarnait le fanzine. J’ai repris mes crayons 8B par la même occasion : c’était un choix immédiat afin de me détacher de l’iPad, où je me suis embourbée ces dernières années.