Née en 2000 à Lyon, Maëlle Reat dessine « depuis qu’elle a l’âge de tenir
un crayon », selon les dires de sa mère. Après des études d’art à Paris, elle est repérée par différents éditeurs, mais c’est avec Virages graphiques qu’elle décide de publier sa toute première bande dessinée.
Elle réalise depuis peu des illustrations pour la revue La Déferlante, et travaille actuellement sur les dessins d’un futur livre de référence sur les jeunesses à paraître aux éditions La Découverte.
Comment êtes-vous arrivée à la bande dessinée ?
Petite, j’étais une grande fan de Pico Bogue. J’ai eu un coup de foudre pour les dialogues sensibles poétiques et profondément justes de Dominique Roques. J’aimais aussi des classiques, comme les livres de Bretecher ou de Sempé qui traînaient dans ma bibliothèque. À l’école, j’inventais mes propres personnages, j’imprimais des petites bandes dessinées que je vendais dans la cour de récré. J’ai passé les années collège sans trop dessiner… l’adolescence ! Mais c’est durant un été un peu « tristounet » et bien solitaire que j’ai recommencé la bande dessinée, non plus comme un passe-temps, mais vraiment comme un moyen d’expression. Puis, j’ai découvert Ces gens-là de Terreur Graphique qui m’a fait commencer le dessin de strips. J’étais fascinée par son travail du dialogue. Ensuite, je n’ai plus pu m’arrêter, parce que ça me faisait du bien, et parce que ça avait l’air de faire du bien à d’autres aussi parfois !
Comment est né ce projet Comme une grande ?
Comme une grande est à l’origine mon projet de fin de diplôme. Lorsque j’ai commencé à l’écrire, je débutais ma dernière année d’école, mon entourage commençait à se questionner sur la suite : « et après tu vas où ? », « et du coup tu veux faire quoi ? »… Des questions classiques que ma classe entière entendait aussi, et dont on souffrait tous, un peu tétanisés de voir que le compte à rebours pour la vie active se rapprochait. Lorsque j’ai commencé à l’écrire, j’ai aussi fêté mes 20 ans. J’ai compris qu’une page se tournait, celle de l’enfance. Ce livre, c’était un peu un moyen pour moi de rendre hommage à ces dix ans que je n’imaginais pas passer si vite. C’était aussi un moyen pour moi de me rassurer sur l’après, en créant un héros « moyen et un peu perdu », qui partage mes questionnements, et ceux de toutes les autres personnes qui traversent ce passage étrange, pourtant très universel.
Vous racontez l’histoire de Marie, de ses 10 ans à la fin des années lycée… Qu’est-ce qui vous fascine dans cette période de la vie ?
C’est une époque que je considère extrêmement intéressante à travailler vis-
à-vis de l’évolution d’un personnage en narration : on change très rapidement à ces âges-là. Le corps d’abord, pousse, se modifie, se déforme. C’est très amusant à retranscrire. Mais c’est surtout l’évolution psychique qui m’intéresse. On passe d’un être qui pense à travers ses parents, à un être qui doit s’habituer à grandir, et petit à petit être indépendant. Il est « vierge » et doit apprendre à se découvrir. De plus, j’aime l’entre-deux que représente ces « 10 à 20 ans », on n’est plus un petit, mais on n’est pas encore « un grand » puisqu’on n’est pas (ou rarement) lancé dans la vie active. Pourtant, on sait déjà qu’on a « du pain sur la planche », que tout reste à faire, et si les « tu veux faire quoi plus tard ? » peuvent être source de rêveries, c’est aussi une source d’énormes angoisses et de questionnements.
Qu’est-ce qui vous plaît dans le fait de raconter le quotidien ?
Je trouve que parler du quotidien en bande dessinée est un exercice extrêmement difficile : en soit, pourquoi lire sur quelque chose que l’on pourrait considérer comme non- extraordinaire ? Quel intérêt a-t-on à lire sur ce que l’on « connaît déjà » ? En fait, je crois que le quotidien est tout sauf « banal ». Il regorge d’un potentiel d’identification et d’introspection très pertinent, si on prend le temps de le regarder en face. Il permet de dépeindre en douceur des problèmes sociaux, des questionnements universels, des vérités, le tout en douceur : par identification, par projection. De plus, c’est un exercice très difficile que de raconter quelque chose qui
n’a « a priori rien à dire », le rendre pertinent, drôle, touchant, crédible. Manu Larcenet le fait à merveille dans son roman graphique Le combat ordinaire, en approchant l’air de rien des problématiques complexes comme la dépression ou la peur de l’engagement. Dans un autre registre, le tableau de Hopper Nighthawks : on voit une scène a priori banale, trois personnes au bar et un serveur. Ce n’est pas l’action qui nous intéresse, mais la solitude qui ressort de ce tableau, et qui nous renvoie peut-être à la nôtre.