Rosalie Stroesser

À propos de Rosalie Stroesser

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Rosalie Stroesser a grandi dans les Alpes. Après une formation initiale en design graphique, elle a étudié l’illustration et la bande dessinée à Paris. Son goût pour les mangas des années 1970 l’a conduite au Japon, où elle a vécu d’octobre 2015 à octobre 2016. Elle s’est envolée pour la Nouvelle Zélande deux ans plus tard, pour un voyage d’un an à nouveau. Lorsqu’elle ne vadrouille pas, elle travaille en tant qu’illustratrice pour la presse  (New York Times, Perdiz Magazine, Le 1 hebdo…).

Rosalie s’est installée à Angoulême en 2020 pour s’atteler à sa première bande dessinée : Shiki – 4 saisons au Japon.

Ses publications

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SHIKI – 4 saisons au Japon
SHIKI - 4 saisons au Japon

Entretien avec Rosalie Stroesser

interview

Rosalie, comment est né ce projet de BD ? Et combien de temps t’a pris
sa réalisation ?
Ce projet est né pendant mon année passée au Japon. Avant même d’y emménager j’imaginais raconter « en direct » mon voyage sous forme d’anecdotes, de petits strips, de croquis… ce que je n’ai finalement pas fait, pour des raisons diverses. En rentrant en France, je savais que j’avais envie de raconter ce que j’avais vécu là-bas, de parler de mon rapport avec ce pays, mais j’ai dû attendre plusieurs années avant d’être prête à écrire ce livre. J’ai mis presque trois ans à dessiner cette bande dessinée, en comptant les premiers mois de tâtonnement pendant lesquels je cherchais un style, une structure (et en comptant aussi les confinements pendant lesquels j’ai eu beaucoup plus de mal à avancer). Disons un peu plus de deux ans de travail concret.

Peux-tu nous expliquer le choix de ce titre, Shiki ?
J’avais déjà dessiné la moitié de ma bande dessinée et je n’avais toujours aucune idée de comment j’allais l’appeler. C’est Sonia qui m’a suggéré ce titre, Shiki (4 saisons), qui m’a semblé tout de suite être une évidence. Ma bande dessinée se présente sous la forme de quatre chapitres correspondant aux quatre saisons. C’est un titre tout simple, qui n’en dit ni trop ni pas assez, avec une chouette sonorité.

Tu as choisi d’intégrer à ta BD des fragments de la mythologie japonaise, quel lien fais-tu entre ce voyage et ces mythes ?
J’ai toujours aimé le folklore japonais. Je suis tombée dedans petite avec les films de Miyazaki, puis j’ai découvert les yokais (créatures surnaturelles, esprits) en lisant les manga de Mizuki notamment. Je ne savais rien par contre des mythes fondateurs. En m’y intéressant, j’ai été assez surprise de voir qu’il y avait quelques similarités avec les mythes occidentaux, tout en étant très différents. Niveau ambiance, rien à voir. On est loin de l’Immaculée Conception, au Japon tout se passe dans le sang, la morve et autres fluides… Plus ça colle et mieux c’est. Par contre, on peut facilement faire un parallèle entre Orphée et Izanagi par exemple, qui descendent tous les deux aux enfers à la recherche de leur compagne. Un autre point commun est… le sexisme. En écrivant les chapitres autobiographiques, je voyais ce fil conducteur en train de se dessiner. J’ai donc choisi d’illustrer des mythes qui avaient un lien à la fois avec les saisons (celui sur la princesse des fleurs de cerisiers se trouve après le chapitre printemps, celui sur Yotsuya Kaidan qui commence dans la neige se trouve après le chapitre hiver…), et qui reflétaient également un certain sexisme. Sur ce dernier point, j’avais un peu l’embarras du choix.

Peux-tu nous parler de tes sources d’inspiration ?
J’ai déjà cité Mizuki, qui est probablement dans le top 3 de mes mangakas préférés. J’adore son noir et blanc, ses ambiances, ses décors si minutieux et si beaux, ses personnages si drôles, ce contraste justement entre décors fouillés hyperréalistes et personnages un peu cartoons… J’aime aussi beaucoup Matsumoto Taiyo et Jillian Tamaki (Supermutant magic academy = meilleure bande dessinée !). Je pense que le côté contemplatif de ma bande dessinée est influencé par ce genre d’auteurices. Le fait de prendre son temps pour exprimer par l’image une ambiance, pour poser un décor. Je voulais que le Japon ait une présence aussi importante, sinon plus, que mon personnage. Je ressens ça chez ces deux auteurices qui, en plus de moult autres qualités, arrivent à créer une ambiance palpable dans chacun de leurs bouquins.

Ta BD parle aussi de désillusions et de confrontation entre des rêves et la réalité d’un pays, peux-tu nous parler de ton rapport au Japon aujourd’hui ?
Mon rapport au Japon aujourd’hui est peut-être un peu plus apaisé qu’à l’époque. Fin 2016, quand je suis rentrée en France après un an passé au Japon, j’étais encore dans l’excitation, dans l’enthousiasme de la nouveauté, dans le déni aussi des choses plus dures que j’avais vécues là-bas. En 2017 – 2020, j’étais dans une phase de colère par rapport à toutes ces choses, par rapport à ce sexisme insidieux. Je me suis vraiment sentie trahie par ce pays envers lequel j’avais tant d’attentes. Aujourd’hui, ces attentes, ces fantasmes, ce côté « terre promise » m’amusent un peu. Je n’idéalise plus le Japon comme avant, il y a des aspects de cette culture qui me désespèrent (comme en France, comme partout), et d’autres qui m’attirent toujours autant. Je sais que j’y retournerai si j’en ai la possibilité.

Peux-tu nous parler un peu plus de ton processus de création et de la technique que tu utilises ? As-tu d’abord écrit le scénario, puis dessiné ?
Je n’ai pas écrit de scénario ni réellement fait de storyboard. J’avais des grandes lignes à suivre et j’avançais au fur et à mesure. Je me faisais une liste de scènes que je storyboardais très grossièrement (format 2cm x 5cm, illisibles passées une semaine), je crayonnais cette scène, puis je passais à l’encrage, et je recommençais pour la scène suivante. Je pense que mon récit aurait gagné en rythme si j’avais storyboardé l’ensemble mais le bouquin fait plus de 300 pages, je crois que je serais morte d’ennui si j’avais procédé comme ça. En ce qui concerne la technique, tout est en tradi, les parties en noir et blanc ont été dessinées à la plume et à l’encre de chine, ou au stylo et au feutre, en fonction de ce qui me tombait sous la main (et de quel stylo avait encore de l’encre…). Pour la mythologie, j’ai encré à la plume, fait la couleur à la gouache sur une autre feuille, puis assemblé les deux sur Photoshop.

Shiki emprunte aux codes de l’autobiographie, comment te racontes-tu ? Est-ce c’est naturel pour toi ?
C’était assez naturel et familier, au sens où je lis beaucoup de récits à la première personne. J’aime beaucoup le genre autobiographique (du watakushi manga aux strips publiés sur Instagram). C’était aussi ce qui me semblait le plus simple. Parler de soi, parler de ce que l’on connaît. Avoir « seulement » à convoquer des souvenirs et à les mettre en scène me semblait plus facile que tout inventer. Ça a aussi ses limites, j’aurais aimé parfois pouvoir davantage sortir du cadre du vécu. Ce sera pour la prochaine !